L’artiste nantais Gilles Bruni est un ethnologue inné.
En arrivant au Parc écologique du Millénaire pour la première fois,
l’ancien étudiant agricole recyclé en maitre de l’installation paysagère traverse, instinctivement, la rue Clément-Cormier.
Et quitte, sans le savoir, les bornes du Parc.
Sur l’ilot «sauvage» comprenant des terres de la couronne accoutrées en réserve écologique, Bruni remarque des petits sentiers discrets, foulés par seuls quelques initiés. Sans hésiter, il emprunte une piste prometteuse qui lui permet, en peu de temps, de découvrir deux vestiges:
1) un amas de branches tressées et calcinées qui soutenaient, il y a quatre ans, La table de feux de l’artiste australo-gaspésien, Christopher Varady-Szabo.
2) un campement délabré, témoignant d’une fréquentation soutenue: tente, sac de couchage, vêtements, restants de bouffe, etc.
Quand il explore, Bruni a l’habitude de se raconter un film dans la tête. De se faire des fictions.
Les deux vestiges qu’il vient de découvrir activent les bobines de son cinéma encéphalique. Lui rejoue, peut-être, des séquences du mystique Stalker d’Andreï Tarkovsky? Avec sa Zone énigmatique, un lieu contaminé ou transformé
qui abrite une chambre où tous les souhaits peuvent être réalisés…
L’artiste se met à l’œuvre, répertoriant d’abord les matériaux naturels disponibles sur son «ilot».
Le plus/moins de sa pile d’alimentation, c’est l’adaptation et l’adoption: s’acclimater en premier et ensuite se faire accepter. Il cible surtout les espaces interstitiels, des tiers paysages comme la friche (le wasteland).
Son expérimentation à ciel ouvert se poursuit avec la modification du paysage:
il trace des sentiers dans l’herbe haute, déplace et transforme des buches de bois, noue des branches, entasse du foin, etc.
Au fil des jours, un petit monde à part se dessine dans l’étendue «sauvage». Deux pistes bien aplaties convergent vers un tracé qui mène à une assez large structure végétale munie d’une arche d’entrée presque gothique. Un sanctuaire?
Le visiteur traverse l’arche et, du coup, il ne se trouve plus à Moncton!
L’audio, lui, demeure urbain avec son trafic incessant des deux artères environnantes.
Mais le visuel, tant à l’intérieur de la «chambre» et à son extérieur, tel que vu de sa «fenêtre»… et bien, je ne vais pas vous le révéler! Il va falloir que vous veniez le découvrir par vous-mêmes. Ou pas.
Car, et voici un paradoxe qui interpelle grandement Bruni: en révélant la nature, nous la détruisons! Si toute la ville de Moncton se garrochait soudainement dans le mini-monde qu’il a conçu, non seulement l’œuvre serait à risque mais la «réserve écologique non officielle» serait également appauvrie.
Si seulement nous n’étions pas si pesants…