Mardi 2 octobre
Enfin du soleil, de la lumière, du vent, de la couleur tout ce qu’il faut pour faire une journée d’automne magnifique.
Comme d’habitude je me suis rendu aux conférences du midi. Aujourd’hui il s’agissait de Serge Fisette dont le titre «Art-nature et… vice versa», titre fort énigmatique, se traduisit par un parcours de l’art nature à l’art dans la nature avec une évolution de l’approche qu’ont adopté divers artistes en ce qui a trait à leur relation au milieu même de la nature. L’oeuvre de sculpteurs comme Henry Moore ou David Smith entretiennent ainsi des liens qui sont beaucoup plus d’ordre environnemental que structurel ou formel. Smith dont les oeuvres en acier étaient abandonnées aux intempéries atmosphériques ou Moore qui, s’inspirant de la nature pour ses formes, y voyait une sorte de refuge pour ses sculptures aux allures organiques ou anthropomorphiques.
On arrive, un peu comme la veille avec Bénédicte Ramade, au Land Art, ce moment crucial où le statut de la galerie se met à vaciller mais la sculpture a toujours été un peu en contrepoint de la galerie d’art car elle comprend souvent, dans sa version monumentale, une appropriation de l’espace public. Le land art se distingue de cette fonction en relation avec l’utilisation d’une matière intrinsèquement liée à l’oeuvre dans une volonté de présentation beaucoup plus que de représentation. L’évolution de cette activité se dirigera vers une sorte de militantisme revendiquant une utilisation plus adéquate et une volonté de conservation de la nature dans des oeuvres allant de l’intrusion à l’utilité et qui ont fait de la nature une sorte d’extension de l’écologie dont les préoccupations sont manifestes, variées mais presque toujours inquiétantes.
Fisette conclut sa conférence en faisait état du phénomène des symposiums, une activité assez nouvelle dont la popularité a surtout marqué la sculpture québécoise beaucoup plus que la sculpture canadienne en général. Il parle entre autres du Symposium international de sculpture, premier du genre en Amérique du Nord, qui s’est tenu en 1964 dans le Parc du Mont-Royal à Montréal. Il est assez intéressant de penser que les francophones ont développé cette approche conviviale et zonée pour faire état de leur préoccupation territoriale car la sculpture, dans sa version monumentale, nécessite toujours une certaine sécurité environmentale pour se manifester. Fisette parle de différentes interventions d’ordre public dont la plus originale est sans doute ce groupe de sculpteurs itinérants, dont a fait partie André Lapointe en début de carrière, qui se déplaçaient de localité en localité pour y effectuer des oeuvres qu’ils abandonnaient ensuite aux diverses communautés qui les avaient accueillis.
Suite à la conférence je suis allé voir les «plantes parlantes» du groupe Sonocosme à la Galerie d’art Louise et Reuben Cohen. Je les avais déjà vues à Halifax mais de les revoir dans un tout autre contexte m’a fait un effet très différent de cette première fois. Il y a quelque chose de fondamentalement anachronique entre cette version puisqu’elle se retrouve pratiquement dans la noirceur, ce qui pour les plantes est assez paradoxal car elles ont besoin du soleil pour produire la photosynthèse dont elles ont besoin pour plusieurs fonctions, la plus importante étant sans doute celle de la survie. Avec Denis Lanteigne, sculpteur qui prononcera demain une conférence, j’ai partagé ce souvenir d’un documentaire vu il y a longtemps où on faisait état de la sensibilité des plantes à notre présence comme ce scientiste qui constata une très grande anomalie dans l’activité du senseur qu’il avait posé sur une plante pour réaliser que cette suractivité correspondait au moment même où il s’était coupé au doigt. Dans le même documentaire, on disait que les arbres avoisinants entrent dans une grande frayeur lorsqu’on abat les arbres autour d’eux.
Après cette visite je suis allé à côté, au Musée Acadien voir une exposition sur les Acadiennes de l’Ile-du-Prince-Edouard. Essentiellement une série de photos plus ou moins anciennes. Parenthèse plutôt étrange entre cette chronique de la survie et celle de l’art nature et des problèmes d’esthétiques qu’il pose. Je ne sais pas très bien où ces deux activités se rejoignent, les locaux de la Galerie et du Musée occupant le même édifice, mais il me semble qu’il y a un lien, un effet de collage, une vision post-moderne de la vie en Acadie entre tradition et modernité.
Puis je me suis dirigé vers le parc du millénaire où ont lieu une grande partie des interventions de ce symposium. Je suis passé près de Ned Bear que je n’ai pas voulu dérangé tout occupé qu’il était à faire émerger une immense tête du tronc de l’arbre qui portera à jamais cette cicatrice, compensant et se déformant au gré des saisons, transformant avec lui cette oeuvre organique et éphémère qui n’aura plus jamais cette blancheur et cette fraîcheur qu’on peut encore lui voir à l’heure actuelle.
Je suis passé près du chantier de Bob Versheren qui poursuit l’aménagement de «Renaître» l’oeuvre qu’il dévoilera dimanche prochain. L’artiste y était en train de poser les cailloux bleus, venus d’une carrière de St-Jean au Nouveau-Brunswick et qu’il dispose de manière à créer une sorte de dégradé passant des plus grosses pierres aux plus petites donnant ainsi des effets de perspective assez impressionnant. Cette oeuvre, avec celle de Nils Udo et Francine Larivée, constitue la troisième permanente du parc c’est à dire de celles qui seront entretenues d’une manière ou d’une autre afin de faire en sorte que la nature, dont le but ultime est de s’infiltrer dans nos fragiles constructions, n’envahissent pas les sites aménagés par ces artistes.
Je suis retourné sur les lieux des deux autres oeuvres. Celle de Larivée fait maintenant l’effet d’une petite forêt, une sorte de forêt bonsai traversée d’un petit sentier délimité par de grandes pierres dont l’espacement correspond à peu près à celui d’un pas d’être humain. Dans son projet original, le haut de ces arbres devaient être tressés pour produire une sorte de voute mais pour des raisons complexes il n’ont pu l’être, ce qui donne à l’oeuvre cette allure d’inachèvement qui lui donne un certain charme, la nature, encore là ayant eu gain de cause sur les projets auxquels elle résiste. L’oeuvre de Nils Udo quant à elle, rappelle un peu la structure du nid qu’on retrouve dans certaines de ses oeuvres depuis la fin des années 70. On y voit cette volonté de produire une sorte d’espace réduit, secret, sécuritaire contenue dans un enclos de végétation dense et touffue qui isole le spectateur. Dans cet espace on retrouve trois immenses pierres, un peu hors contexte dans ce lieu protégé où même le son semble être filtré par la végétation. Depuis cette seule ouverture, par où l’on entre et sort de cet aménagement, on peut voir la ville, la circulation sur l’autoroute créant ainsi une rupture entre le bien-être du lieu méditatif où l’on se trouve et la ville au loin où l’on s’affaire comme toujours dans une course qui n’a rien à voir avec la nature.
Poursuivant mon périple je me suis dirigé vers la ruelle Clément Cormier où Gilbert Leblanc s’affairait à créer un autre labyrinthe ou peut-être voulait-il consolider celui qu’il avait déjà mis en place. La structure consiste à couper les grandes herbes qui poussent dans le marais afin d’en faire des lignes regroupées en une structure qui dessine un labyrinthe que je me suis moi-même amusé à parcourir pour me rendre compte que je ne m’en sortirais pas. J’ai ainsi abandonné lâchement une énigme que je m’étais pourtant promis de résoudre. Il faudra que j’y retourne. L’oeuvre de LeBlanc est sans doute celle qui se rapproche le plus d’une sorte de purisme de l’art nature qui, selon moi, est beaucoup représenté par Andy Goldsworthy, au sens où pour lui l’oeuvre procède de sa présence, de son intervention ou de sa collaboration avec le paysage ambiant. «Chaque oeuvre grandit, demeure et se décompose» selon les mots de Goldsworthy dont la démarche singulière s’éloigne maintenant de cette volonté de faire des oeuvres dont l’organicité se retrouve dans une relation symbiotique à la nature.
Puis je me suis dirigé vers la roulotte de Jean-Denis Boudreau qui, dans sa combinaison blanche bardée de sur-vêtements de protection noirs fait l’effet d’un soldat ou d’un sportif de haute voltige. Il y a un peu de ces deux fonctions dans l’oeuvre qu’il est en train de produire qui consiste à «défricher» la terre au moyen d’un tout terrain (d’où les sur-vêtements de protection) afin de pouvoir y ensemencer des graines qu’il va projeter dans la terre au moyen d’un instrument servant normalement à lancer des «paint balls». Oeuvre à la fois ludique, théâtrale, cinématographique, visuelle, complexe et post-moderne qui donne à réfléchir sur les trafficotages dont l’agriculture fait présentement les frais, notre rapport à l’alimentation, à la terre qui lui tient toujours lieu de support sont ici explorés avec une volonté satirique et critique de nous faire réfléchir sur l’absurdité de notre rapport faussé à la nature.
Remontant le parc en longeant l’avenue Donald, la chaleur et la beauté du paysage me font penser, en voyant une étendue de fleurs violettes dont je ne connais pas le nom, aux impressionniste qui les premier quittèrent leur monde protégé pour s’aventurer dans le monde imprévisible et inconfortable de la nature. Je cueille une branche de ces fleurs dont je ne connais pas le nom pour m’informer de leur nom auprès de quelqu’un de connaissant mais je ne trouverais personne et la branche va sécher sur le siège avant de ma voiture sans que j’en sache beaucoup plus. Rendu au haut de la colline je bifurque à nouveau vers la gauche pour me retrouver près du tronc d’arbre sans écorce où Paul Griffin et un assistant sont en train d’y planter des milliers de clous galvanisés. Une fois l’oeuvre complétée, les clous vont recouvrir toute la surface donner au tronc une allure luisante où l’organique et le métallique vont se confronter dans un lien aussi étrange que sophistiquée.
Je repasse à nouveau devant l’oeuvre de Ned Bear qui cette fois est en conversation avec une jeune fille dont le nom est Josianne, bout de conversation que j’écoute malgré moi et qui s’estompe tranquillement dans l’air frais d’une fin de journée magnifique à mesure que je m’approche de ma voiture. Je rentre chez moi à la campagne loin du béton et du bruit, même si Moncton n’est pas la mégalopolis dont parle les écritures il reste que comparé au silence quasi total de la nature qui m’entoure, il y a quand même un contraste évident.